Voici une traduction française de la critique de l'Instrumentum Laboris écrite par Mgr Chaput et publié sur First Things (et aussi sur la page Facebook de ''Archbishop Charles J. Chaput'')
Réflexions sur l'Instrumentum Laboris
Par Mgr Charles J. Chaput, O.F.M. Cap, archevêque de Philadelphie
21/09/2018
''Principales difficultés théologiques dans l'instrument de travail (IL) pour le Synode 2018:
I. Naturalisme
L'Instrumentum Laboris affiche une focalisation omniprésente sur les éléments socioculturels, à l'exclusion de questions religieuses et morales plus profondes. Bien que le document exprime le désir de «relire» les «réalités concrètes» à la lumière de la foi et de l'expérience de l'église (§ 4), «il ne parvient malheureusement pas à le faire. Exemples spécifiques:
§ 52. Après une discussion sur la conception instrumentale contemporaine du corps et des effets de "l'activité sexuelle précoce, de multiples partenaires sexuels, la pornographie numérique, l'exhibition du corps et le tourisme sexuel," le document déplore la "défiguration de la beauté et la profondeur de la vie affective et sexuelle.'' Aucune mention n'est faite au sujet de la défiguration de l'âme, de sa cécité spirituelle qui en découle, et de l'impact sur la réception de l'Évangile par celui qui a été blessé.
§ 144. Il y a beaucoup de discussions sur ce que les jeunes veulent; peu sur la façon dont ces désirs doivent être transformés par la grâce dans une vie qui se conforme à la volonté de Dieu pour leur vie. Après des pages d'analyse de leurs conditions matérielles, l'Instrumentum Laboris n'offre aucune orientation sur la façon dont ces préoccupations matérielles pourraient être élevées et orientées vers leur fin surnaturelle. Bien que l'IL offre une certaine critique des objectifs exclusivement matérialistes/utilitaires (§ 147), la majorité du document répertorie minutieusement les diverses réalités socio-économiques et culturelles des jeunes adultes tout en n'offrant aucune réflexion significative sur préoccupations spirituelles, existentielles ou morales. Le lecteur peut facilement conclure que ces derniers ne sont d'aucune importance pour l'Église. L'IL note à juste titre que l'Église doit encourager les jeunes «à abandonner la recherche constante de petites certitudes» (§ 145). Nulle part, cependant, ne note-t-elle qu'elle doit aussi agrandir cette vue avec la grande certitude qu'il y a un Dieu, qu'il les aime, et qu'il veut leur bien éternel.
Ce naturalisme est également démontré dans la préoccupation du document avec les considérations suivantes: la mondialisation (§ 10); le plaidoyer pour le rôle de l'Église dans la formation de «citoyens responsables» plutôt que de Saints (§ 147) et la préparation des jeunes pour leur rôle dans la société (§ 135); les objectifs séculiers pour l'éducation (§ 149); promouvoir la durabilité et d'autres objectifs séculiers (§ 152-154); promouvoir "l'engagement social et politique" en tant que "véritable vocation" (§ 156); encouragement du «réseautage» comme un rôle de l'Église.
L'espoir de l'Évangile est sensiblement manquant. Au § 166, dans le contexte d'une discussion sur la maladie et la souffrance, un homme handicapé est cité: «vous n'êtes jamais assez préparé pour vivre avec un handicap: il vous invite à poser des questions sur votre propre vie, et à vous interroger sur votre fini.» Ce sont des questions existentielles pour lesquelles l'Église possède les réponses. L'IL ne répond jamais à cette citation avec des références à la Croix, à la souffrance rédemptrice, à la Providence, au péché, ou à l'amour divin. L'IL est de même faible sur la question de la mort au § 171: le suicide est décrit comme simplement «malheureux», et aucune tentative n'est faite pour le corréler aux échecs d'une ethos matérialiste. Ceci est également observé dans le traitement tiède de la toxicomanie (§ 49-50).
II. une compréhension inadéquate de l'autorité spirituelle de l'Église
L'IL met fin aux rôles respectifs de l'Ecclesia docens et de l'Ecclesia discens. L'ensemble du document est fondé sur la croyance que le rôle principal de l'Église magistrale est «l'écoute». Le plus problématique est le § 140: «l'Église devra opter pour le dialogue comme son style et sa méthode, en favorisant une prise de conscience de l'existence de liens et de connexions dans une réalité complexe.... Aucune vocation, surtout au sein de l'Église, ne peut être placée en dehors de ce dynamisme sortant du dialogue....'' En d'autres termes, l'Église ne possède pas la vérité, mais doit prendre sa place à côté d'autres voix. Ceux qui ont occupé le rôle d'enseignant et de prédicateur dans l'Église doivent remplacer leur autorité par le dialogue. (à cet égard, voir aussi § 67-70).
La conséquence théologique de cette erreur est la confusion entre le sacerdoce baptismal et le sacerdoce sacramentel. Depuis la Fondation de l'Église, par le commandement divin, les ministres ordonnés de l'Église ont été investis dans la tâche d'enseigner et de prêcher; de sa fondation, les fidèles baptisés ont été chargés d'entendre et de se conformer à la parole prêchée. En outre, le mandat de prêcher est co-institué par notre Seigneur avec le sacerdoce ministériel lui-même (cf. Mt 28:19-20). Si l'Église abandonnait son ministère de la prédication, c'est-à-dire si les rôles de l'Église enseignante et de l'Église enseignée devaient être inversés, la hiérarchie elle-même serait inversée, et le sacerdoce ministériel s'effondrerait dans le sacerdoce baptismal. En bref, nous deviendrions luthériens.
En dehors de ce grave problème ecclésiologique, cette approche présente un problème pastoral. Il est courant que les adolescents issus de foyers permissifs aspirent généralement à ce que les parents se préoccupent suffisamment pour fixer des limites et donner des directives, même s'ils se rebellent contre cette direction. De même, l'Église en tant que mère et enseignante ne peut pas, par négligence ou lâcheté, renoncer à ce rôle nécessaire de fixer des limites et de diriger (cf. § 178). À cet égard, le § 171, qui pointe vers la maternité de l'Église, ne va pas assez loin. Il n'offre qu'un rôle d'écoute et d'accompagnement tout en éliminant celui de l'enseignement.
III. une anthropologie théologique partielle
La discussion de la personne humaine dans l'IL ne fait aucune mention de la volonté. La personne humaine est réduite dans de nombreux endroits à «l'intellect et le désir», «la raison et l'affectif» (§ 147). L'Église, cependant, enseigne que l'homme, créé à l'image de Dieu, possède un intellect et une volonté, tout en partageant avec le reste du Royaume animal un corps, avec son affect. C'est la volonté qui est fondamentalement dirigée vers le bien. La conséquence théologique de cette omission flagrante est extraordinairement importante, puisque le siège de la vie morale réside dans la volonté et non dans les vicissitudes de l'affect. D'autres exemples incluent § 114 et § 118.
IV. une conception relativiste de la vocation
Tout au long du document, l'impression est donnée que la vocation concerne la recherche privée et individuelle de sens et de vérité. Les exemples incluent: § 129. Qu'entend-on par «forme personnelle de sainteté?» Ou, une "proper vérité"? C'est le relativisme. Tandis que l'Église propose certainement l'appropriation personnelle de la vérité et de la sainteté, l'Écriture est très claire sur le fait que Dieu, la vérité première, est un; le diable est Légion.
Le § 139 donne l'impression que l'Église ne peut pas proposer la vérité (singulière) aux gens et qu'ils doivent décider eux-mêmes. Le rôle de l'Église ne se réduirait qu'à l'accompagnement. Cette fausse humilité risque de diminuer les contributions légitimes que l'Église peut et doit faire.
Le § 157. Pourquoi l'Église devrait-elle soutenir les «voies pour changer des modes de vie?» Cela est en conjonction avec les exhortations aux jeunes de prendre la responsabilité de leur propre vie (§ 62) et de construire un sens pour eux-mêmes (§ 7, § 68-69) donnant l'impression que la vérité absolue n'est pas trouvée en Dieu.
V. une compréhension appauvrie de la joie chrétienne
La spiritualité chrétienne et la vie morale sont réduites à la dimension affective, et plus clairement au § 130, attestant une conception sentimentale de la «joie». La joie semble être un état purement affectif, une émotion heureuse, parfois enracinée dans le corps ou l'amour humain (§ 76), parfois dans l'engagement social (§ 90). Malgré sa référence constante à la «joie», nulle part l'IL ne le décrit comme le fruit de la vertu théologale de la charité. La charité n'est pas non plus caractérisée comme l'ordre approprié de l'amour, mettant Dieu d'abord et ordonnant alors tous les autres amours en référence à Dieu.
La conséquence théologique de ceci est que l'IL n'a pas de théologie de la Croix. La joie chrétienne n'est pas l'antithèse de la souffrance, elle est une composante nécessaire d'une vie cruciforme. Le document donne l'impression que le vrai chrétien sera «heureux» en tout temps, dans le sens familier. Elle implique en outre l'erreur que la vie spirituelle elle-même aura toujours comme conséquence la joie (affective) ressentie. Le problème pastoral qui en découle est plus évident encore au § 137: est-ce le rôle de l'Église de faire en sorte que les jeunes «se sentent aimés par lui [Dieu]» ou de les aider à savoir qu'ils sont aimés indépendamment de ce qu'ils pourraient ressentir?
Outre les considérations qui précèdent, il existe d'autres préoccupations théologiques graves dans l'IL, y compris: une fausse compréhension de la conscience et de son rôle dans la vie morale; une fausse dichotomie proposée entre la vérité et la liberté; une fausse équivalence entre le dialogue avec les jeunes LGBT et le dialogue œcuménique; et un traitement insuffisant du scandale de l'abus.''
Charles J. Chaput, O.F.M. Cap., est archevêque de Philadelphie et membre du Conseil permanent du Synode des évêques.
https://www.leforumcatholique.org/message.php?num=853867
Source