Homélie - Père Ludovic Frère - Recteur Notre Dame du Laus -Sunday 22 November - Roi de l’essentiel Messe du dimanche 22 novembre 2020 – Solennité du Christ Roi de l’univers
Par le père Ludovic Frère, recteurEssentiel et non-essentiel. En France, comme peut-être en d’autres pays depuis lesquels vous participez à cette messe, c’est devenu un grand critère : commerces essentiels ou non-essentiels, déplacements essentiels ou non-essentiels, produits de première nécessité ou non. Au ministère de l’intérieur ou à celui de la santé, j’imagine qu’a été mis en place un service spécifique, grouillant de personnel en pleine agitation depuis des semaines : « le bureau de détermination des essentiels. » Avec des gens très brillants, menant des débats permanents : l’après-shampooing, essentiel ou non essentiel ? Le chocolat, les coiffeurs, la littérature, les biscuits pour chiens… essentiels ou non essentiels ? Les balades en montagne, les Noëls en famille ou la sainte messe… essentiels ou non essentiels ?
On dit aussi que cette pandémie est une occasion favorable pour revenir à l’essentiel. J’y croyais lors du premier confinement. J’en doute un peu désormais, au regard des prises de tête de ces derniers mois pour des futilités… en tous cas dans ma vie personnelle.
Peut-être a-t-on manqué de clarification sur ce qu’on entendait par là : qu’est-ce qui est essentiel ? On ne peut pas revenir à quelque chose si l’on ne sait pas ce que c’est. Pour revenir à l’essentiel, il est nécessaire de le déterminer : qu’est-ce qui est essentiel pour moi ?
Le temps du confinement peut alors nous permettre de faire la liste de nos essentiels ; et une fois cette liste effectuée, la comparer à nos activités de la semaine ou de l’année pour voir si nous allons effectivement à l’essentiel. Si vous êtes confinés en couple ou en famille, vous pourriez vous y essayer aujourd’hui. Que chacun fasse la liste de 10 choses qui sont pour lui essentielles ; puis vous comparez mutuellement vos listes, vous les discutez, pour aboutir – pourquoi pas – à une liste essentielle commune à votre couple ou à votre famille ; comme un projet de vie pour la semaine qui commence ou pour l’Avent qui approche. Qu’est-ce qui est essentiel pour vous ?
* * *
L’essentiel, c’est ce qui touche à l’essence, au fond de l’être. Il ne peut donc y avoir de distinction entre l’essentiel et le non-essentiel sans écouter ce qui habite au fond de l’être humain. Autrement dit, il n’y a pas d’essentiel sans un sens donné à ce que nous faisons et à ce que nous sommes ; pas d’essentiel sans viser une finalité.
Afin de sauver le plus de vies possibles, il est essentiel d’un point de vue médical de ne pas engorger les hôpitaux déjà presque saturés. Il est aussi essentiel d’un point de vue économique de maintenir des échanges commerciaux pour se prémunir d’une flambée du chômage et de la fermeture d’entreprises. Il est essentiel de maintenir des liens avec nos aînés, sans quoi ils vont mourir plus nombreux de solitude que de Coronavirus.
On entre alors dans un conflit des essentiels, qui rend les décisions politiques si difficiles. Sans doute parce qu’il manque une chose à nos systèmes politiques modernes : un horizon partagé par tous. Pour le dire autrement : il manque une ouverture à une transcendance, à quelque chose de plus grand que les priorités individuelles, ou plutôt une ouverture à ce qui va permettre aux priorités personnelles de toutes se rejoindre dans un essentiel partagé par tous.
Or, la logique du « vivre ensemble », qu’on prône beaucoup de nos jours, n’est pas de cet ordre ; elle est plus un respect des priorités individuelles que la confession d’une priorité commune. Nous n’avons pas d’essentiel partagé, alors nous nous perdons dans des déterminations bureaucratiques entre produits, activités et commerces essentiels ou non-essentiels.
* * *
Mais nous confessons aujourd’hui le Christ, Roi de l’univers : le Christ comme horizon de tout l’univers. Le Christ Roi du plus essentiel ! En confessant sa royauté sur l’univers entier, nous disons qu’Il est la finalité de tout être humain et de l’ensemble du créé. Bien sûr, tous ne le reconnaissent pas. La rose ne peut le confesser qu’en étant une rose ; l’athée refuse de le reconnaître ; mais les croyants que nous sommes doivent le proclamer par toute leur vie : Jésus-Christ, unique Sauveur du monde, horizon de tout l’univers ! C’est à partir de Lui que tout s’organise ; c’est en Lui que tout naît, grandit et meurt. C’est par Lui que nous allons à l’essentiel. C’est Lui notre Essentiel.
La Parole de Dieu le révèle magnifiquement aujourd’hui : Le Christ, notre Roi, nous conduit à l’essentiel comme un berger conduit son troupeau vers de bons pâturages. Oui, c’est un Roi berger que nous confessons ; Roi au milieu de son peuple, le guidant vers des prairies vraiment nourrissantes. Un Roi qui va jusqu’à ne faire qu’un avec les brebis les plus fragiles : « chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. » Sa joie de Roi-berger, c’est de nous soigner, de bien nous nourrir et de nous voir gambader dans la nature. Son essentiel à Lui, c’est de nous rassembler pour toujours en un seul troupeau et de nous protéger ici-bas des loups qui pourraient nous agresser. Ensemble alors, nous pouvons chanter avec le psalmiste : « Le Seigneur est mon berger, je ne manque de rien ». Il est bien là, l’essentiel : « je ne manque de rien. »
D’elles-mêmes, les brebis peinent à garder le cap sur l’essentiel. « J’irai les délivrer dans tous les endroits où elles ont été dispersées un jour de nuages et de sombres nuées », promet le Seigneur. Quand nous nous égarons, le Christ ne nous raye pas de la carte de ses essentiels ; il vient nous chercher, nous ramener, nous rassembler. Il est ainsi, le Roi de l’univers : Il ne sait faire autre chose qu’aimer et rassembler !
Même son jugement est un jugement royal d’amour et de rassemblement. L’évangile de ce jour nous révèle un Roi de l’univers si respectueux de notre liberté, qu’après nous avoir prévenus, nous avoir guidés, nous avoir comblés de grâce pour Le choisir, Il nous laisse libres de nos actes. Le Royaume éternel, personne n’y est obligé, même si tout le monde y est appelé. La Parole de Dieu, les sacrements, la droiture de notre conscience et les événements de la vie ne cessent de nous révéler ce qui est essentiel ; mais si nous préférons autre chose, le Roi de l’univers s’incline devant nos choix. Ça, c’est vraiment royal !
* * *
Alors, en français, on peut oser un jeu de mot. Quand je dis « essentiel », je me pose à moi-même la question : « est-ce en Ciel ? » Est-ce que cette priorité pour moi aujourd’hui est vraiment en cohérence avec le Ciel ? Est-ce qu’elle conduit au Ciel, est-ce qu’elle se déploiera au Ciel ?
« Est-ce en Ciel ? » [size=15]Il y a bien des réalités dans nos vies quotidiennes qui répondent à cette priorité. J’en repère trois grandes : la proclamation de la gloire de Dieu, le soin apporté à l’amour dans nos relations, et la lutte persévérante contre les souffrances : tout cela est en Ciel. Il est donc essentiel que ces réalités se déploient dès maintenant, car elles nous préparent au Ciel et déjà nous entendons cet appel, qui nous attire : « Venez, les bénis de mon Père ; recevez en héritage le royaume préparé pour vous depuis la création du monde ». C’est le Roi de l’univers et Berger de nos vies qui s’adresse à ceux qui auront misé sur cet essentiel-là.[/size]
Par le chant incessant pour louer le Seigneur, par d’authentiques relations avec les autres et par une lutte farouche contre toutes les souffrances, nous préparons le Ciel ! Nous le vivons déjà, d’une certaine manière, mais pas totalement, comme le révèle saint Paul : « Nous voyons actuellement de manière confuse, comme dans un miroir ; ce jour-là, nous verrons face à face » (1 Co 13,12-13).
* * *
Oui, au Ciel, l’essentiel nous apparaîtra dans toute sa lumière ! Mais pour l’instant, il est encore à découvrir et à choisir. L’essentiel est sur Terre une promesse, une direction à prendre, un refus d’écouter les priorités égocentrées qui ferment les yeux sur les besoins des autres : « j’avais faim et vous ne m’avez pas donné à manger ».
Il est exigent, l’essentiel proposé sur Terre par le Seigneur ; mais, par la grâce du Roi qui a donné sa vie pour nous, l’essentiel est à notre portée. Alors, aimons cet essentiel en confessant la totale royauté du Christ sur l’univers ! Gloire de Dieu, relations vraies et lutte contre la souffrance : tout le reste n’est pas en Ciel et ne mérite donc pas que nous y mettions notre coeur.
Antoine de saint Exupéry faisait dire au petit prince : « On ne voit bien qu’avec le cœur ; l’essentiel est invisible pour les yeux ». Je crois plutôt que l’essentiel est sous nos yeux, mais que nous détournons parfois le regard. L’essentiel nous est donné, l’essentiel est à célébrer, l’essentiel c’est d’aimer en actes et en vérité. L’Essentiel, c’est Jésus-Christ, Roi de l’univers ! Amen.
******
http://www.sanctuaire-notredamedulaus.com/fileadmin/user_files/01_-_RETOUR_EN_IMAGES/2020/Christ_Roi_de_l_Univers_-__2020_ass_.pdf
******