Fioretti de Saint François d'Assise sur l'EnferDE TROIS LARRONS CONVERTIS PAR SAINT FRANÇOIS, ET A L'UN DESQUELS ONT ÉTÉ RÉVÉLÉES LES PEINES DE L'ENFER (FIORETTI)
Après la mort de ces deux compagnons, l'autre ayant donc continué une telle pénitence pendant plusieurs années, voici qu'une nuit il lui vint après Matines une si grande envie de dormir qu'il ne pouvait en aucune façon résister au sommeil et veiller comme d'habitude.
Finalement, ne pouvant ni résister au sommeil ni prier, il se jeta sur son lit pour dormir ; et aussitôt qu'il y eut posé la tête, il fut ravi et mené en esprit sur une très haute montagne où il y avait un abîme très profond, et çà et là des rochers brises et escarpés d'où jaillissaient des aiguilles de diverses hauteurs, en sorte que l'aspect de cet abîme était effroyable à regarder.
Et l'ange qui conduisait ce frère le poussa violemment et le jeta dans cet abîme ; et lui, bondissant et se heurtant d'aiguille en aiguille et de rocher, il arriva enfin au fond de cet abîme, tout rompu et brisé lui semblait-il. Et comme il gisait à terre en si misérable état, celui qui le conduisait dit : « Lève-toi, car il te faut faire encore un grand voyage. » Le frère répond: « Tu me parais un homme très déraisonnable et cruel, toi qui me voit mourant de cette chute qui m'a brisé, et qui me dis : "Lève-toi." » Et l'ange s'approche de lui et, en le touchant, lui remet parfaitement tous ses membres et le guérit. Puis il lui montre une grande plaine remplie de pierres aiguës et tranchantes, d'épines et de ronces, et lui dit qu'il lui faut passer pieds nus par toute cette plaine jusqu'à ce qu'il arrive au bout, où il voyait une fournaise ardente dans laquelle il lui fallait entrer.
Le frère ayant traversé toute cette plaine avec grandes angoisses et souffrances, l'ange lui dit : « Entre dans cette fournaise, car il faut que tu le fasses. » L'autre répond : « Hélas, combien tu es un guide cruel, toi qui me vois presque mort pour avoir traversé cette plaine terrifiante, et qui maintenant pour tout repos m'ordonnes d'entrer dans cette fournaise ardente. » Et comme il regardait, il vit autour de la fournaise beaucoup de démons ayant en mains des fourches de fer avec lesquelles, comme il hésitait à entrer, ils le poussèrent brusquement dedans.
Entré qu'il fut dans la fournaise, il regarde et y voit un homme qui avait été son compère, et qui brûlait tout entier. Et il lui demande : « O compère infortuné, comment es-tu venu ici ? » Et il répond : « Va un peu plus avant et tu trouveras ma femme, ta commère, qui te dira la cause de notre damnation. » Le frère étant allé plus outre, voici que lui apparut ladite commère toute embrasée, enfermée dans une mesure à grains toute de feu ; et il lui demande « O commère infortunée et misérable, pourquoi es-tu venue en un si cruel tourment ? » Elle lui répond : «Parce qu'au temps de la grande famine que saint François a prédite autrefois, mon mari et moi nous avons fraudé sur le grain et le blé que nous vendions dans une mesure, et pour cela je brûle resserrée dans cette mesure. »
Ces paroles dites, l'ange qui conduisait ce frère le poussa hors de la fournaise et lui dit: « Prépare-toi à faire un horrible voyage que tu as à accomplir. » Et celui-ci disait en gémissant : « O très dur conducteur, qui n'as de moi aucune pitié, tu vois que je suis presque tout brûlé dans cette fournaise, et tu veux me mener encore dans un voyage périlleux et horrible. » Et alors l'ange le toucha et le rendit sain et fort.
Puis il le conduisit à un pont que l'on ne pouvait passer sans grand danger, parce qu'il était très mince et étroit et très glissant sans parapets sur les côtés ; et dessous passait un fleuve terrible, plein de serpents, de dragons et de scorpions, et qui répandait une très grande puanteur.
Et l'ange lui dit : « Passe ce pont, car il te faut absolument le passer. » L'autre répond : « Dans ce fleuve dangereux ? » L'ange dit : «Viens après moi et pose ton pied où tu verras que je poserai le mien, et ainsi tu passeras sans encombre. » Ce frère passe derrière l'ange comme il le lui avait enseigné jusqu'à ce qu'il arrive au milieu du pont ; mais comme il était en ce milieu, l'ange s'envola et, le quittant, s'en alla sur une très haute montagne fort au-delà du pont. L'autre examina bien le lieu où l'ange s'était envolé ; mais restant sans guide et regardant en bas, il voyait ces terribles bêtes se tenir la tête hors de l'eau, la gueule ouverte, prêtes à le dévorer s'il tombait ; et il était plongé dans une telle terreur qu'il ne savait en aucune façon ni que faire ni que dire, car il ne pouvait ni revenir en arrière ni aller en avant.
Voyant donc qu'il était en une telle tribulation et qu'il n'avait d'autre refuge que Dieu seul, il se baissa, embrassa le pont et de tout son coeur, en pleurant, il se recommanda à Dieu afin que par sa très sainte miséricorde il daignât le secourir. Sa prière faite, il lui parut qu'il commençait à lui pousser des ailes ; il en eut une très grande joie et attendit qu'elles fussent assez grandes pour lui permettre de voler au-delà du pont, là où l'ange s'était envolé.
Mais après quelque temps, à cause du très grand désir qu'il avait de traverser ce pont, il se mit à voler ; et parce que ses ailes n'avaient pas encore poussé, il tomba sur le pont et ses plumes tombèrent : par suite, il embrassa de nouveau le pont et comme la première fois il se recommanda à Dieu. Sa prière faite, il lui parut encore qu'il lui poussait des ailes ; mais comme la première fois il n'attendit pas qu'elles eussent parfaitement grandi ; il se mit donc à voler trop tôt, et il retomba de nouveau sur le pont et ses plumes tombèrent ; c'est pourquoi, voyant que par la hâte qu'il avait de voler trop tôt il tombait ainsi, il commença à se dire en lui-même : « Certainement, s'il me pousse des ailes une troisième fois, j'attendrai qu'elles soient assez grandes pour que je puisse voler sans retomber. » Comme il était dans ces pensées, il voit pour la troisième fois qu'il lui pousse des ailes ; et il lui semblait que durant la première, la seconde et la troisième venue de ses ailes, il avait bien attendu cent cinquante ans ou même plus. A la fin, il se lève pour la troisième fois et prend son envol de tout son effort; et il s'envola en haut jusqu'au lieu où l'ange s'était lui-même envolé.
Source : catholicus.pagesperso-orange.fr
Que Jésus Miséricordieux vous bénisse
ami de la Miséricorde