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La paternité-maternité spirituelle en vie monastique est-elle menacée en Occident ?par le père Daniel-Ange
mercredi 29 juin 2016
Lors de rencontres et contacts personnels avec une quarantaine d’higoumènes (orthodoxes), abbés, abbesses, prieures de différents ordres ou congrégations monastiques en Italie, Suisse, Autriche, France, Roumanie, Ukraine, Grèce et Terre sainte, j’ai pris conscience que la Tradition orientale comme occidentale de la Paternité-Maternité spirituelle de l’Abbé-esse, ou higoumène commençait en Occident à être sérieusement mise en cause risquant même de s’éroder lentement [1]. Cela sous l’influence d’une conception, relativement récente, qui tend à s’infiltrer ou même à s’imposer jusque dans les monastères catholiques occidentaux. Dans certains cas — hélas ! — à l’occasion d’abus regrettables dénoncés parfois publiquement, et qui doivent être rectifiés, notamment lors de visites canoniques régulières ou exceptionnelles.
I. La paternité-maternité spirituelle en vie baptismale
Avant d’aborder l’exercice de ce ministère en vie monastique, il faut dire que de manière générale, le sens même de la Paternité-maternité spirituelle en tant que telle, tend à s’éclipser dans l’Église catholique de tradition latine. Il est remplacé par la « direction spirituelle », « le cheminement avec », etc., expressions relativement étrangères à la Tradition monastique proprement dite. Or, il s’agit d’une réalité, certes connexe, mais d’un autre ordre.
Participation à la Paternité du Père, ou, pour les femmes, à la Maternité de la Mère de Dieu, les mots père/mère impliquent une véritable filiation, un réel engendrement. Ils ne dirigent pas, n’accompagnent pas la personne, mais l’enfantent à sa vie divine. Dans le sillage de saint Paul aux expressions si fortes (voir I Co, 4, 14, 1 Th.2,7 Gal 4,19).
Bref, un père, mais avec le cœur d’une mère, ce qui suppose pour lui d’abord de porter l’enfant en gestation. Pour l’Orient il est tout à la fois médecin, guide, conseiller, intercesseur, médiateur, prenant sur lui les péchés de ceux qui sont confiés à son cœur. Surtout, ayant fait l’expérience directe de l’Esprit Saint, il est consolateur dans le Consolateur.
À son « géniteur spi » on doit s’ouvrir de son âme en toute simplicité et confiance. (2 Co, 6-13) Particulièrement à travers la « manifestation des pensées », (exagoreusis), lui permettant donc de les discerner. Celles venant du malin sont neutralisées ipso facto par ce dévoilement qui les arrache aux ténèbres et les projette en pleine lumière, ce qui révulse les démons. Telle est la praxis monastique traversant siècles et régions.
Précision importante : ce charisme n’est pas nécessairement lié au sacerdoce. Certains prêtres le reçoivent, bien sûr. Mais pas tous. Leur paternité s’exerce moins pour les personnes que pour la communauté dont ils sont chargés. Alors que bien des femmes, surtout consacrées le reçoivent, mais aussi certains parents. Les femmes vivent cette maternité avec une dimension très spécifique. [2]
La paternité en Orient vise la divinisation, la configuration au Christ. En Occident on tend à souligner la guérison, le mieux-être, l’épanouissement de la personne… La visée n’est pas exactement la même. En Occident, on s’occupe davantage de la personne en relation avec les autres, de ses dimensions psycho-affectives, etc.… et on risque d’en oublier l’enfant de Dieu, la grâce, la puissance des vertus, l’efficacité transformante de la Parole de Dieu… Bref le « par l’évangile… » dans 1 Cor 4,15 ainsi que le but visé : la conformité au Christ. (Encore très marquée chez les « Pères » cisterciens). Les Pères étaient de fins connaisseurs des méandres de la psychologie humaine sans pour autant verser dans l’hyperpsychologisme [3].